Née et élevée au Liban, Joumana a quitté Beirut pour poursuivre ses études d’art à Paris. Mais c’est en découvrant l’Église par une amie au Liban qu’elle a trouvé sa propre voix d’artiste. Maintenant, les œuvres éblouissantes de Joumana sont imprégnées d’un symbolisme et d’une mesure d’Esprit qui leur permet de toucher les cœurs des gens.

Comment avez-vous avez grandi ?

Suite à la guerre au Liban, après mes études de Beaux-Arts à Beyrouth, je suis venue à Paris pour continuer mes études. Je viens d’une famille d’artistes donc mon premier dessin était sur une boite à fromage en bois, j’avais cinq ans quand je l’ai dessiné, et puisque mon père est artiste-peintre j’allais toujours dans son Atelier pour  dessiner et parfois pour lui piquer des outils qui me servaient à inventer des pièces rigolotes… je crois que c’est une chose avec laquelle je suis née parce que mes deux sœurs et mes deux frères, nous sommes tous devenus artistes-peintres. 

Est-ce que le fait d’avoir ces deux cultures, libanaise et française, a influencé votre créativité ?

Au Liban on a une culture très française : depuis toujours il y a un lien très fort entre la France et le Liban, on l’appelle notre « mère protectrice ». Donc quand je suis venue en France ça n’a pas beaucoup changé, à part le fait qu’on a une culture quand même plus méditerranéenne au Liban, on est un peu comme les Italiens comme les Grecs, on aime parler… les Français, en général, sont des gens extraordinaires qui ont un grand cœur mais ils ne l’expriment pas assez. Donc j’avais du mal parce que quand on est artiste on a besoin d’un contact et moi j’avais toujours eu cette ambiance. Depuis que je suis petite en fait j’ai ouvert les yeux dans une maison ouverte où on avait des gens qui défilaient toute la journée chez nous, il y avait des peintres, des sculpteurs, des écrivains, des cinéastes c’était un monde artistique et j’ai été élevée un peu comme ça. C’était un monde très riche, il y avait plein de soirées que mes parents faisaient et puis il y avait un artiste qui se lançait en chants, l’autre qui dansait… un vrai bouillon de cultures. C’était une période magique que je regrette maintenant. 

Quand nous étions jeunes, ma sœur Gina et moi faisions beaucoup d’expérimentations de tous genres, ainsi que des bijoux fantaisie, et c’est plus tard, après avoir étudié les beaux-arts, que j’ai décidé d’être peintre. Quand on a un papa qui est assez connu, qui a une personnalité très forte, sur le coup j’avais besoin d’arrêter et faire autre chose parce que, malgré l’encouragement constant de mes parents de continuer à peindre, je voulais exister par moi-même. D’ailleurs c’est pour cela que j’ai changé mon nom de jeune fille parce qu’à chaque fois qu’on me voyait les gens disaient « ah tu es la fille de tel » et ils voyaient toujours lui et pas moi. J’ai remarqué que je n’étais pas la seule, j’ai vu plein d’autres personnes qui étaient dans la même situation où leur maman ou leur papa était quelqu’un de publique et qu’ils avaient besoin de creuser leur propre chemin. Tout le monde dans ma famille porte le nom de Nahlé et moi j’ai opté pour le nom de mon mari. Donc j’ai fait quatre ans à l’école BJO à Paris, ce qui m’a permis de mélanger la peinture avec les perspectives, jusqu’au moment où j’ai rencontré l’Église : quand j’ai rencontré l’Église ma peinture a complètement basculé.

Comment ça ?

Parce qu’avant je faisais des choses très cubiques, cérébrales, symboliques à la façon de la philosophie humaine ; depuis l’âge de cinq ans c’était toujours en encre de chine, noir et blanc et je ne faisais que ça. Et quand j’ai été baptisée, le premier dessin que j’ai fait est sorti tout seul. C’est un tout petit bout de papier, dans le monde des esprits avec des gens qui vivaient quelque part dans le monde des ténèbres, ils étaient emprisonnés, et sur une haute montagne on voyait Joseph Smith et quelques disciples avec lui. Je n’ai jamais vraiment cherché à dessiner le visage de Joseph Smith, mais pour moi c’était lui – c’est sorti et j’ai senti que c’était lui. 

Quand je peins, je ne sais pas ce que je peins. Je suis une peintre qui fait de l’abstrait figuratif, c’est-à-dire qu’on voit le personnage mais il y a de l’abstraction : je travaille surtout sur le message. Pour moi, une peinture qui n’a pas de message, qui ne touche pas, ça ne marche pas. Donc je prie et puis je me laisse aller complètement sur une page blanche, sur une toile blanche. Et c’est au milieu du travail, quand les premières silhouettes commencent à apparaitre que petit à petit je découvre le sujet. 

Pour moi, c’est très spirituel, il y a quelque chose qui marche avec l’Esprit. Je prie pour que l’Esprit travaille avec moi pour que quand les personnes regardent le tableau, ce n’est pas une œuvre esthétique, c’est avant tout quelque chose qui peut parler avec l’esprit. Et j’étais très contente parce que dans plusieurs expositions que j’ai faites un peu partout, des personnes m’ont exprimé qu’ils ressentaient une paix en voyant mes tableaux. Donc tout d’un coup toute ma peinture a changé de quelque chose qui était un peu fort, des lignes dures, très structurées… et là tout d’un coup il y a une douceur de couleur très unie avec des thèmes très spirituels. 

Personnellement je trouve qu’il y a beaucoup de décadence dans notre monde artistique, il y a un lobby artistique, il y a du business derrière, il y a plein de choses. On est vraiment pris par ce piège que tout ce qui est spirituel ou tout ce qui parle de Dieu ou qui parle de l’être humain c’est quelque chose de démodé, c’est quelque chose de banal qui n’est pas intéressant et « waouh » il flashe pas, il fait pas quelque chose d’extraordinaire. Mais je ne peux pas faire quelque chose pour être connue à droite et à gauche, je dois faire quelque chose que je sens. 

Parlez-moi un peu plus de vos expériences spirituelles avec l’art

J’ai eu par exemple une expérience avec le tableau qui s’appelle « La Consolation. » Quand j’ai commencé à le peindre j’ai fait un espace et après il y a un personnage qui est sorti. Quand je l’ai vu, j’ai compris que c’était le Christ. Et avec cet espace j’ai dit « le Christ est tout seul, donc il est dans le désert » et petit à petit je voyais les choses plus clairement. Au milieu du travail j’ai compris que c’était le Christ en solitude et j’ai dit « ce sera les quarante jours où le Christ était dans le désert. » Par contre je voulais lui mettre un ange et j’avais oublié ce qu’il y avait dans les écritures mais dans ma tête je sentais très fort qu’il fallait que je mette un ange qui le console. Alors j’ai mis un petit oiseau sur la main de l’ange et l’autre main était sur l’épaule du Christ pour le consoler. Et je me suis dit peut-être qu’il ne faut pas faire quelque chose comme ça, inventer. Finalement je suis allée lire les écritures et j’étais très étonnée parce que j’avais oublié ce petit détail qu’il y a avait un ange qui venait le consoler (Matthieu 4:11). Pour moi c’était une joie immense. 

Dans un autre tableau, il y a toujours le même personnage qui est ressorti, qui lui ressemble mais cette fois-ci en fait c’est la main du Christ, avec un personnage qui nous représente tous, et c’est la main de notre Sauveur qui le relève. C’est comme pour dire qu’à chaque fois qu’on a la tête qui baisse, il y a toujours le Sauveur à coté de nous pour nous relever. 

Comment avez-vous découvert l’Église ?

Depuis que je suis toute petite je prie toujours. À l’époque je ne connaissais pas « Père Céleste », donc je priais Dieu. Nous avons été élevés chez les bonnes sœurs et elles étaient très strictes, mais moi dans ma tête je faisais une prière que j’ai inventée avec Dieu. Par contre je n’étais pas trop religion. Mon frère qui est plus jeune que moi de deux ans a découvert l’Église au Liban, c’était dans les années 80. Il a rencontré une sœur qui était membre et voulait absolument connaitre l’Église mais il n’y avait pas encore trop la connaissance, parce que l’Église n’avait pas été rétablie de nouveau au Liban après la guerre, dans les années 70 : il n’y avait rien, chacun était livré un peu à lui-même, il y avait seulement un petit groupe de membres baptisés en Europe qui attendaient un changement. Finalement mon frère a pris l’avion, est venu en France à l’époque où je vivais ici, et il est allé à l’ambassade Américaine pour demander où était l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ! Il s’est fait baptiser et très rapidement après il est parti faire sa mission aux États-Unis dans le Minnesota, et il m’écrivait toujours. Il me disait « s’il te plait, lis le Livre de Mormon » mais je n’étais vraiment pas prête pour ça. 

Puis un soir, j’ai eu un rêve et j’ai vu le Saveur dans mon rêve. Je me suis vue carrément dans un tombeau en pierre comme ceux du moyen-âge, mais il était ouvert et je dormais et j’avais un petit sac dans ma main qui signifiait que je ne pourrais pas prendre beaucoup de choses. À l’époque j’étais vraiment dans le monde, je vivais une vie riche d’expériences, très agréable, et là je me voyais sans rien du tout, avec juste un petit sac. Il y avait aussi deux personnes dans un autre tombeau (plus tard j’ai compris que c’était les missionnaires), ils étaient jeunes et ils me regardaient et moi je faisais semblant que je dormais. À un moment un personnage d’une beauté extraordinaire est venu me prendre la main et me sortir du tombeau ouvert. Les missionnaires me regardaient, étonnés… Il m’amène sur une montagne très haute et il y avait une table et un banc en bois. J’étais assise à côté de lui, et c’est à ce moment qu’il commence à m’adresser la parole. Il me dit « qu’est-ce que tu veux boire » et tout d’un coup il est devenu tout en blanc avec des cheveux blancs. Je lui dis « de l’eau » et il me dit « c’est bien. » Et puis il me pose une question qui m’a beaucoup frustrée : « qu’est-ce que tu as de plus valeureux dans ta vie ? » je dis que je ne sais pas. Il a levé la main avec trois doigts levés et a dit « il y a trois choses… » et au moment où il commençait à me les dire le téléphone a sonné. J’avais une frustration ! Je fermais les yeux et j’essayais, j’essayais non-stop… 

Six mois après, je décidais de repartir au Liban, et cette amie qui avait présenté l’évangile à mon frère m’a tout dévoilé. J’ai eu mon témoignage avant même de lire le Livre de Mormon, et j’ai été baptisée trois mois plus tard. Toute ma vie je cherchais dans mes prières à connaitre Dieu, mais je ne savais pas comment. 

Comment le fait d’être une femme influence-t-il votre travail ? Quelle différence cela fait-il ?

Je dirais qu’on a une palette d’intuitions et de couleurs et qui se fusionnent ensemble, et ça c’est très important. Nous les femmes sommes très sensibles, et on peut ressentir des choses ; moi je suis très attachée à tout ce qui est humain. Je pense beaucoup à des femmes qui souffrent ou des hommes qui souffrent, je pense aux enfants, je pense beaucoup à la cellule familiale. Et surtout en tant que femme j’essaie de mettre un esprit dans ma peinture pour que les gens puissent ressentir cet esprit qu’on sent à l’intérieur quand on regarde quelque chose qui nous donne un peu de paix dans le cœur. Ça ne vient pas de la peinture, ça vient de l’Esprit qui a été mis dans la peinture et cet esprit il ne vient pas de moi en fait, il y a quelque chose, une empreinte. J’aime servir mon Père Céleste et pour moi je sais que la peinture, ça m’a été dit un jour dans une bénédiction lorsque j’étais malade, ça fait partie de ma mission sur terre de peindre. Et je sais que pour moi c’est un outil que je peux utiliser pour toucher les cœurs des personnes. 

Est-ce que la peinture vous a rapprochée de Dieu ?

Oui. Dans ma peinture j’essaie de travailler avec le Seigneur. Mais ce n’est pas évident parce que les peintres qui se basent sur un modèle par exemple ou sur une nature, ils s’appuient sur le regard et le ressenti. Quand on va tout sortir de l’intérieur, sans rien du tout, aucun appui, cela demande une énergie énorme. La joie vient après mais c’est un défi énorme, et il y a eu des moments où je n’arrivais pas à faire quelque chose et tout d’un coup il est sorti de lui-même. Et là j’ai dit mais c’est pas possible, il n’y a que la main de Dieu qui peut faire ça. Je me sentais incapable, j’avais besoin d’un modèle pour certains détails, et c’est ressorti d’une façon tellement naturelle que je savais vraiment que Dieu aide chacun de nous, toutes ses filles, et il les aime quel que soit  leur métier, quelle que soit leur personnalité ou leur condition, il aime tout le monde, il veille sur eux. 

At A Glance


Nom:
Borderie Joumana

Age:
48 ans

Lieu de domicile:
Paris - La Défense

Situation familiale:
Mariée

Enfants:
Un garçon de 9 Ans

Métier:
Artiste –Peintre / Créateur

Convertie à l’église le:
25 Octobre 1992

Écoles où vous avez étudié:
Ecole de Beaux Arts – Beyrouth / Grande Ecole B.J .O -Paris

Langues parlées chez vous:
Français

Cantique préféré:
181 «  Eternel est notre espace  »

Interview Produced by Lydia Defranchi